Sur les quais de Barcelone

Article publié le 3 mars 2014 et mis à jour le 5 mars 2020.

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Trois choses que j’ai apprises de mon récent périple seule

Comme plusieurs d’entre vous, j’en suis sûre, j’adore voyager seule. Là où d’autres voient un saut dans le vide en solo sans filet de sécurité ni cours d’eau assez profond à l’arrivée, je vois plutôt un rouleau de ruban adhésif. Du gros tape jaune, celui sur lequel on peut écrire.

Je suis donc partie, cette fois encore, avec pour seul bagage un rouleau de tape (dans un sac à dos). L’itinéraire n’était pas établi au départ, sauf pour ce qui est du mariage en République tchèque. Je ne savais pas alors que j’irais à Budapest. Ni à Munich. Ni que je retournerais deux fois en République tchèque après le mariage, m’accrochant les pieds dans un festival de musique à Ostrava et passant saluer une amie à Děčin. J’ai collé mon ruban adhésif sur ma carte au fur et à mesure, selon les occasions et les idées déterrées – et aussi illogique que ça puisse paraître, ça a donné ceci.

Itinéraire au papier collant Europe

(Mes seules contraintes étaient ma date de retour, mon envie de voir certains amis qui bougeaient eux aussi, ainsi que la profondeur de ma marge de crédit.)

Voici ce que j’ai appris pendant mes six semaines en cavale. Certaines pensées me sont venues au cours du voyage, d’autres après. Ce faisant, je ne cache pas que j’espère donner un petit coup de pouce à ceux d’entre vous qui n’osent pas (encore) voyager seuls, mais qui aimeraient bien le faire.

1. J’ai réalisé à quel point j’étais forte, physiquement, mentalement, émotionnellement.

Avant mon départ, j’avais sur le dos la fatigue accumulée d’une session d’hiver dans un nouveau collège, suivie peu de temps après d’un cours d’été. Dans les six mois précédant mon départ, en plus de ce nouvel emploi, j’avais vécu une rupture et un déménagement dans un appartement que je payais seule. Le travail me divertissait de la tristesse, mais au prix d’un stress plus intense encore. À défaut d’être capable de plonger dans l’émotion, j’avais sérieusement besoin de changer d’air.

Je me sentais écrasée par mon quotidien; mais l’idée même de partir dans un grand vide que je remplirais de ce qui me fait du bien m’a rendue plus légère. J’ai pris l’avion avec l’excitation que la petite Aimée avait ressentie quand elle avait quatre ans et qu’elle allait à Disney World avec sa famille.

Voyageuse (moi) dans le train en Tchéquie

Voyageuse (moi) dans le train en Tchéquie

 

Munie de cette jeunesse retrouvée et de cette nouvelle facilité à respirer, j’ai accompli beaucoup plus que je ne l’aurais pensé. À 28 ans (ce n’est pas vieux, me direz-vous, mais bon), je me suis prouvé que j’étais encore capable de :

✓  marcher en cosmonaute pendant six heures sous le soleil avec deux sacs à dos (bon, d’accord, je n’avais pas pris que du tape), incluant une « douce » montée d’une heure;

✓  dormir dans une couchette de train avec des backpackers de 20 ans (dont une fois après avoir passé la nuit précédente dans l’avion);

✓  faire la fête quelques jours d’affilée à Budapest puis à Prague… et même rencontrer quelqu’un dans un bar;

✓  avoir le réflexe de rire quand on soupçonne une fraude sur ma carte de crédit;

✓  parler espagnol avec la dame à la réception alors que je ne parle pas vraiment espagnol;

✓  dormir en couchsurf avec huit autres personnes;

✓  discuter avec tant de gens avec ouverture et transparence.

Chaque jour portait sa leçon d’humilité, mais aussi sa petite fierté. Je me sentais forte, empowered. Je marchais la tête haute parce que, hé!, je suis ici malgré la peur, malgré le confort que j’avais à la maison.

Sur les quais à Paris avec un verre de vin (et la citation de mon ami Laurent)

Sur les quais à Paris avec un verre de vin (et la citation de mon ami Laurent)

 

2. J’ai aussi vu mes limites et appris à les poser (comme à chacun de mes séjours à Paris!). Non, je ne peux pas passer douze heures par jour à visiter des attractions touristiques pendant un voyage de six semaines. Non, je ne peux pas toujours dormir peu. Non, je n’ai pas envie de faire la file au soleil pendant quatre heures « juste » pour voir l’intérieur de la Sagrada Familia. Non, je n’ai plus envie de vivre le manque de respect de mon intimité. Non, je n’ai pas toujours envie de parler ni d’écouter parler.

Tout cela semble négatif, mais il y a bel et bien un revers (ou plutôt un endroit) à chaque limite : un besoin. Oui, j’ai besoin de me reposer. Oui, j’ai besoin de prendre des moments seule chaque jour pour écrire, prendre un thé ou un verre, observer les gens. Oui, j’ai besoin de marcher sans but. Oui, j’ai besoin d’être respectée et de me respecter. Oui, j’ai besoin de beaucoup de silence… et de musique qui m’amène plus près de mon cœur.

Sur les quais de Barcelone

Sur les quais de Barcelone

 

3. Je me suis rendu compte à quel point nous sommes connectés aux autres – à quel point la générosité et l’ouverture n’ont ni nationalité, ni limite. J’ai été accueillie à bras ouverts par des amis d’amis (même, dans deux cas, par les parents d’un ami d’un ami), par des couchsurfeurs, par des serveurs, mais aussi par des amis que je n’avais pas vus depuis longtemps et qui ont tout fait pour rendre mon séjour des plus agréables.

J’ai rencontré des gens exceptionnels avec qui j’ai eu des discussions profondes sur la pelouse d’un festival de musique, dans un mignon jardin… et dans un lit 1 place d’hôtel-bateau. J’ai sauté dans les bras d’un Californien à Prague parce qu’on s’était rencontrés à Budapest. J’ai connecté à un niveau profond avec un sommelier barcelonais. Tout ça, parce que j’avais l’attitude voyage, j’en suis persuadée.

L’attitude voyage, c’est cette légèreté qui fait être soi-même et prendre des risques parce qu’on se fiche de l’opinion des autres. C’est celle qui permet de danser seule, d’aborder les gens qui nous plaisent, d’avoir une vision périphérique au lieu des œillères qu’on porte habituellement.

La bonne nouvelle, c’est que l’attitude voyage n’est pas réservée au voyage. Elle peut être appliquée chez soi aussi… mais pour ce faire, la pratique dans un pays étranger aide.

Mais pourquoi « connectés »? En fait, aussi étrange que cela puisse paraître, partir seule permet de sortir de soi. Oui, il y a beaucoup de moments d’introspection (parfois forcée); ainsi, les rares moments de communication avec d’autres (autrement que pour commander un café ou payer son entrée aux bains) prennent sens comme jamais. Parce que je voulais tout voir, tout expérimenter (mais aussi fuir mon mental parfois, je l’avoue), j’étais présente à 100 % dans ces conversations. Au lieu de voir les différences, je voyais les ressemblances dans l’expérience humaine. Je me sentais proche des Tchèques. Je me fondais dans le paysage dans le métro de Barcelone avec ma petite sacoche. J’allais revoir le barman du petit bistro de Paris pour lui demander des nouvelles. Je me sentais comme appartenant à tous les endroits où j’allais.

Aimée dans un bar à vin à Barcelone (le Monvinic)

Dans un bar à vin à Barcelone (le Monvinic)

Écriture dans un salon de thé à Prague (Dobra Cajovna)

Écriture dans un salon de thé à Prague (Dobra Cajovna)

 

Et, bien sûr, je tente de garder le contact avec tout ce beau monde, d’une façon ou d’une autre. Pour certains, le contact reprendra en personne, l’été prochain si possible. Pour d’autres, il ne reprendra pas… ou pas tout de suite. Juste parce que c’est la vie et que le retour fait aussi partie du voyage.

Depuis mon retour, ma vie s’est chargée de me tenir occupée afin que je ne réfléchisse pas trop à mon expérience de cet été. Je garde précieusement dans mon téléphone les enregistrements pris par-ci par-là : Paris gare du Nord, band tchèque, chanson à la radio, vernissage. J’ai aussi un journal de voyage et une série de photos, bien sûr, que je garde précieusement.

Mon rouleau de tape, lui, m’attend toujours sagement au fond de mon sac à dos dans mon garde-robe. Et au bout, il y a encore une carte du monde de collée. Ne reste qu’à la saisir encore une fois et qu’à recommencer à bricoler.

Voyageur dans un train à la gare centrale de Prague

Voyageur dans un train à la gare centrale de Prague

Sauter pour attraper un mammouth au musée à Brno

Sauter pour attraper un mammouth au musée à Brno

 

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Voyager seule - 3 choses que j'ai apprises

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7 commentaires

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    Denyse Lamontagne
    28 avril 2014 à 07 h 46

    Bravo Annie,
    J’envie ta jeunesse. J’ai découvert cette liberté de voyager seule dans la cinquantaine. Et quel plaisir de rencontrer des gens si intéressants et voir ce qu’on a envie de voir, sans négociation sauf avec soi-même.
    A chaque voyage je reviens plus riche de nouvelles expériences et belles rencontres. Avec les autres et moi-même. Denyse

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    Aimée
    29 avril 2014 à 12 h 07

    Merci pour ce commentaire, Denyse! J’aime bien quand vous dites “sans négociation sauf avec soi-même”. C’est possible de voyager à deux dans la liberté… mais à mon avis, c’est vraiment seule que l’on fait les plus belles rencontres.
    Je vous souhaite encore beaucoup de beaux voyages enrichissants!
    Aimée

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    Yolande Villemaire
    5 juin 2014 à 10 h 29

    Chère Aimée,

    Tu réussis dans ce texte à communiquer avec enthousiasme ta joie du voyage en solo et tes photos, quelle merveille! J’adore celle du bar à vin à Barcelone et celle du saut avec le mammouth! Après avoir voyagé en couple en Europe et en Californie presque tous les étés de 20 à 27 ans, j’avais moi aussi 28 ans la première fois que j’ai voyagé seule! Quel bonheur, quelle liberté! Je me rappelle m’être perdue dans les rues d’Amsterdam. J’avais marché jusque dans un quartier ex-centré et personne ne parlait ni français ni anglais. Au lieu de paniquer, je me suis aperçue que c’était extraordinaire de ne pouvoir compter que sur moi-même. Personne au monde ne savait où j’étais (c’était bien en avant les cellulaires, en 1978…) et je me suis sentie incroyablement LIBRE. J’ai presque toujours voyagé seule par la suite et je me sens chez moi même au bout du monde! Je te souhaite un bel été de voyages et de découvertes, seule ou avec ton nouveau chum! Bises.

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    Aimée
    5 juin 2014 à 05 h 04

    Merci chère Yolande! Oui, cette liberté qu’on ressent… d’être soi-même partout. Ça confronte à d’autres parties de soi qu’on ne voit pas dans notre quotidien connu! Pas de grand voyage pour cet été, mais ça reviendra bien vite. Bises!

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    […] À ce lieu commun selon lequel le voyage servirait avant tout à explorer de nouveaux endroits, je répondrai que l’un n’exclut pas l’autre; j’en ai d’ailleurs donné un exemple ci-dessus, avec la visite de Versailles calée dans un séjour plus flâneur dans Paris. Mais revisiter, c’est une tentative (nécessairement vouée à l’échec, dans une certaine mesure) de faire revivre des souvenirs agréables, exaltants, délirants. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, c’est une tentative de se sentir libre comme on l’a déjà été. Pourtant, les endroits changent, les gens qui les habitent aussi, et nous de même; on dirait cependant que le retour dans un lieu connu ravive une partie de nous qui nous échappe quand elle est enfermée dans notre train-train quotidien. Mon courage et ma jeunesse en sont des exemples; j’ai d’ailleurs déjà écrit à ce sujet dans ces pages. […]

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